2025, février/ Évangéliser ne signifie pas vouloir convertir l’autre. L'objectif premier n’est pas d’en faire un « bon chrétien », pour qu'il aille à la messe tous les dimanches et qu’il devienne un pratiquant qui professe la foi de l’Église. Si tel était l'horizon, quelle pression sur les épaules du chrétien ! "La politique du chiffre" de convertis risquerait d’être rapidement difficile à assumer. Quant à l’évangélisé potentiel, jusqu'où sa liberté serait-elle vraiment respectée ?
Sainte Bernadette, la voyante de Lourdes, peut nous aider à mieux saisir cette nuance entre évangélisation et conversion, entre annonce par le baptisé et émergence de la foi chez l’évangélisé. Voyant que ceux à qui elle rapportait les apparitions et les messages de la Vierge Marie, ne la croyaient pas, la "petite" grande sainte, avec son sens habituel de la formule, leur répliqua :
Je ne suis pas chargée de vous le faire croire, je suis chargée de vous le dire.
Ces mots frappent par leur simplicité et leur justesse. Ils renvoient chacun à sa responsabilité. Bernadette témoigne de ce qu’elle a vécu sans chercher à convaincre ses auditeurs, elle veut juste honorer la rencontre qu'elle a faite et la partager. Madeleine Delbrel le dit encore plus clairement :
Il faut aussi que nous sachions bien qu’évangéliser, ce n’est pas convertir. Qu’annoncer la foi, ce n’est pas donner la foi. Nous sommes responsables de parler ou bien de nous taire, nous ne sommes pas responsables de l'efficacité de nos paroles. La foi, c’est Dieu qui la donne.
En réalité, si l’évangélisation dépend des chrétiens, la conversion est seule le fruit de l'Esprit Saint. Elle naît de ce dialogue intime entre l'âme d’une personne, sa liberté profonde, et l’action de Dieu en elle. Elle est de l’ordre du mystère - mystérieux ne signifiant pas magique ou ésotérique. Ce terme tente d’exprimer qu’un chemin de conversion au Christ s’adresse au lieu le plus secret d’une personne, dans son cœur profond comme le qualifie l’anthropologie chrétienne. Et qu’il dépasse les seules grilles de lecture sociale culturelle ou psychologique pour s’ouvrir aux réalités spirituelles intimes. La conversion consiste à accueillir la rencontre avec Dieu, à accepter le salut qu’il propose en entrant dans la communauté de ses disciples. Elle n’est pas de type idéologique, moral ou psychologique. Elle est le fruit d’une décision par laquelle on se laisse saisir par Jésus-Christ, elle est la réponse qu’une personne donne à l’Évangile avec sa liberté et son histoire personnelle. C’est pourquoi l’évangélisation exige un souci infini de respect et de délicatesse pour l’autre. Elle demande aussi beaucoup d’humilité et d’effacement devant l'Esprit Saint.
Jean-Guilhem Xerri, À quoi sert un chrétien ?, p. 209-210.